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Lettre ouverte au très honorable Justin Trudeau : s’il vous plaît, sauvez ma vie

NOVEMBER 7, 2019

Monsieur le Premier Ministre,

Je m’appelle Melissa Verleg et j’ai 36 ans. J’habite à Vernon et je suis la mère de deux jeunes garçons. Je vis avec la fibrose kystique (FK) et je vous écris pour vous demander d’adopter maintenant une stratégie pour améliorer l’accès aux médicaments contre les maladies rares. Les Canadiens atteints de maladies rares telles que la FK ont attendu assez longtemps. Nous voyons les personnes atteintes de FK dans d’autres pays obtenir les médicaments dont elles ont besoin, alors que nous souffrons et que nous mourrons. Votre gouvernement doit faire mieux; tous les gouvernements canadiens doivent faire mieux. Vous ne pouvez pas rester assis et attendre sans rien faire : des vies sont en danger.

La fibrose kystique est la maladie génétique mortelle la plus répandue chez les enfants et les jeunes adultes canadiens; environ 4 300 Canadiens en sont atteints. Elle a différents effets sur le corps, mais touche surtout l’appareil digestif et les poumons. La persistance de l’infection dans les poumons, avec leur destruction et la perte de fonction pulmonaire, finit par entraîner la mort de la majorité des personnes atteintes de FK.

En 2017, l’âge médian de survie des Canadiens atteints de FK était de 52,9 ans; c’est l’âge au-delà duquel vivront 50 % des bébés qui naissent avec la FK aujourd’hui. Grâce aux interventions médicales et aux nouveaux médicaments, ce chiffre a connu une augmentation significative par rapport au début des années 70, alors que beaucoup d’enfants fibro-kystiques ne vivaient pas plus de quatre ans. Malgré tout, les personnes atteintes de FK qui ont succombé à la maladie en 2017 avaient un âge médian de 33,6 ans. Le Canada doit faire mieux.

Il n’existe actuellement aucun moyen de guérir la maladie, mais pour la première fois dans l’histoire de la fibrose kystique, de nouveaux médicaments permettent de traiter la maladie elle-même, et non pas uniquement ses symptômes. Pendant un certain temps, j’ai eu accès à un de ces médicaments – Orkambi – par une assurance privée. Les effets de ce produit étaient formidables : ils ont changé ma vie! Ma santé était stable, je pouvais mieux respirer et ma fonction pulmonaire se chiffrait à 69 %. Mon poids a augmenté, ce qui est important, car les personnes atteintes de FK ont des problèmes digestifs en raison d’une accumulation de mucus qui nuit à leur digestion et conduit à la malnutrition et à une faible croissance. Orkambi a changé tout cela pour moi.

J’ai pris Orkambi pendant environ un an avant d’apprendre que j’allais perdre mon assurance privée. Sachant que ma couverture d’assurance allait cesser, mon équipe de soins est intervenue auprès de mon ministre provincial de la Santé, Adrian Dix, pour demander que le médicament me soit remboursé. Ma demande a été rejetée, monsieur Dix ayant déclaré qu’Orkambi avait fait l’objet d’une recommandation négative de la part de l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS), un organisme qui émet des recommandations non contraignantes sur les médicaments que nos programmes publics d’assurance-médicaments devraient couvrir ou non. Le ministère a rejeté mon appel à maintes reprises et j’ai fini par perdre l’accès à un médicament qui, je le sais maintenant, me sauvait la vie.

Comment je sais qu’il me sauvait la vie? Depuis que j’ai perdu ma couverture de ce médicament, ma santé a connu un déclin rapide. Je suis hospitalisée depuis le 16 septembre et ma fonction pulmonaire est passée de 44 % au moment de mon admission à 18 % en ce moment. Je suis sous oxygène constant et mon nom est sur la liste active des transplantations pulmonaires. Pour continuer à vivre, c’est ce qu’il me faut.

Je souhaite ardemment recevoir bientôt une transplantation, mais je dois aussi me faire à l’idée qu’elle n’arrivera peut-être pas. On a cru pendant un moment que je n’allais pas survivre assez longtemps, et une transplantation pulmonaire est sans garantie. Imaginez le chagrin que j’ai éprouvé en m’assoyant avec mon conjoint et mes jeunes enfants, pour leur dire que maman ne pourra peut-être pas revenir à la maison parce qu’elle ne peut pas avoir les médicaments dont elle a besoin, surtout qu’elle les avait auparavant et qu’elle se portait si bien? J’ai le cœur brisé rien qu’à penser à cette conversation.

Ce qu’il y a de plus tragique dans ma situation, c’est que je devrai peut-être quitter mon mari et mes garçons parce que je n’ai pas accès à un médicament hautement efficace pour moi dans un pays qui prétend avoir un système de soins de santé universel. Les Canadiens ont maintenant le droit de mourir, mais qu’en est-il du droit de vivre? L’article 7 de la Charte des droits et libertés garantit à chaque Canadien le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; ma vie m’offre peu de sécurité et pour ainsi dire aucune liberté en ce moment.

J’ai malheureusement été obligée de lancer une contestation de la Charte pour tenter d’avoir accès aux médicaments dont j’ai besoin. C’est ce qu’il m’a fallu faire légalement. Mais je ne peux pas attendre aussi longtemps. L’attente d’un procès peut durer des années et ma fenêtre de réponse favorable à Orkambi se referme. Il existe un autre médicament qui pourrait m’aider – Trikafta – mais il n’est pas encore offert au Canada. Je pourrais peut-être l’obtenir par un programme spécial de Santé Canada, mais mon équipe de soins de santé me dit qu’il faudrait d’abord qu’un traitement par Orkambi échoue. Comme je l’ai dit, ma fonction pulmonaire est à 18 % : je ne peux plus me permettre d’échouer. J’ai l’impression que mon pays joue à un jeu mortel avec ma vie.

Monsieur Trudeau, je veux vivre pour voir mes garçons grandir. Je veux vieillir avec mon mari. Je veux avoir ce que la majorité des Canadiens tiennent pour acquis; je chéris pour ma part chaque moment de chaque jour, sachant qu’il pourrait être mon dernier. J’ai beaucoup de mal à composer avec tout cela en ce moment, et j’ai besoin de savoir qu’aucun autre Canadien ne devra vivre ce que je vis. J’ai besoin que vous me le promettiez et j’ai besoin que vous agissiez maintenant.

Plusieurs pays ont des stratégies pour aider les personnes atteintes de maladies rares à obtenir les médicaments qu’il leur faut, mais pas le Canada. C’est pourquoi la communauté FK était si pleine d’espoir lorsque votre gouvernement précédent s’est engagé à créer une stratégie concernant les maladies rares dans le budget fédéral de 2019, et a été si bouleversée d’apprendre que cela n’allait finalement pas se produire avant 2023-2024. Nous ne pouvons pas attendre, monsieur le Premier Ministre. Nous sommes malades, nous sommes en train de mourir et nous avons besoin de vous maintenant.

Le Canada tente de mettre sur pied une stratégie concernant les maladies rares depuis plus de 15 ans. Santé Canada a proposé un Cadre réglementaire pour les médicaments orphelins en 2012, mais il n’a pas été promulgué. Puis, en octobre 2017, votre gouvernement a effacé du site Web de Santé Canada toute référence à ce cadre, sans avis ni consultation. La communauté des maladies rares a été ébranlée lorsque cela s’est produit, et vous nous avez porté un coup dur en annonçant dans le dernier budget qu’il fallait attendre encore quatre ans pour remplacer ce que nous croyions acquis.

La fibrose kystique est une maladie progressive mortelle. Les personnes atteintes de FK ne peuvent pas attendre. Je ne peux pas attendre. Les médicaments qui permettent de maîtriser la maladie de certaines personnes – comme moi – sont disponibles maintenant et 40 autres traitements prometteurs sont en cours de mise au point. En ce moment, Trikafta peut traiter 90 % de la population FK; bientôt, il y aura des médicaments qui permettront de traiter jusqu’à 95 % des personnes fibro-kystiques. Si nous n’y avons pas accès maintenant, nous allons manquer une occasion de transformer la vie de plusieurs personnes. Nous allons perdre des personnes qui auraient pu rester parmi nous, le tout pour une fenêtre de quatre années de mise en application. Cette fenêtre se referme trop vite pour plusieurs d’entre nous.

Monsieur le Premier Ministre, vous pouvez changer tout cela. Vous pouvez changer la vie – et sauver la vie – de nombreux Canadiens atteints de fibrose kystique et d’autres maladies rares si vous agissez maintenant et que vous adoptez une stratégie en matière de maladies rares. Notre avenir en dépend.

Je ferai d’ici peu un suivi auprès de votre Cabinet, pour prévoir une conversation. Nos vies sont entre vos mains.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.

Melissa Verleg, maman de deux jeunes garçons, Vernon, Colombie-Britannique