La Dre Lisa Strug est professeur à l’Université de Toronto et chercheuse principale au Hospital for Sick Children. Elle s’intéresse de près à la génétique et à la biologie génomique. Elle a reçu le Prix du chercheur émérite de Fibrose kystique Canada pour son projet de recherche récemment financé, intitulé?: L’épidémiologie de la fibrose kystique. Elle et son équipe étudient divers gènes qui pourraient jouer un rôle dans l’apparition de problèmes de santé liés à la fibrose kystique (FK), en vue de potentiellement mettre au point de nouvelles cibles de traitement. Poursuivez votre lecture ci-dessous pour en savoir plus sur les travaux de la Dre Strug et ses contributions dans le domaine de la fibrose?kystique!
Pouvez-vous nous parler brièvement de vos travaux?
Fibrose kystique Canada appuie la Canadian CF gene modifier study (étude canadienne sur les modificateurs du gène de la FK) depuis 2009, environ. Cette étude collabore avec 10 cliniques de FK situées dans 10 provinces, environ 75 pour cent des Canadiens atteints de FK y participent. Elle vise à comprendre pourquoi la maladie se manifeste très différemment dans les organes touchés de personnes atteintes de FK porteuses des mêmes mutations du CFTR. On pense que d'autres gènes que le CFTR pourraient être en cause.
Notre priorité est donc de déterminer quels sont ces autres gènes qui pourraient contribuer à ces variations. Nous nous penchons sur des gènes autres que le CFTR qui seraient impliqués dans les comorbidités associées à la FK, comme la maladie pancréatique, la maladie pulmonaire et le diabète. Pour y parvenir, nous avons fait la cartographie de ces gènes précis et tentons maintenant de leur trouver une utilité en pratique clinique.
Comment parvenez-vous à déterminer quels enjeux de santé associés à la FK pourraient survenir chez une personne?
Une application de notre travail consiste à utiliser les mutations du CFTR présentes chez cette personne et les mutations génétiques que nous avons repérées afin de formuler une équation. Cette équation peut prédire le risque d’apparition du diabète associé à la FK que présente cette personne. Dans l'avenir nous pourrions prédire la gravité potentielle de la maladie pulmonaire d’une personne et si elle répondrait bien à des traitements ciblant la CFTR. Les gènes servant à formuler ces équations prédictives pourraient même servir à découvrir des cibles potentielles de traitement futur.
Ces nouvelles cibles thérapeutiques profiteraient aux personnes porteuses de mutations responsables de l’incapacité des cellules à produire la protéine CFTR. Ce groupe de patients fibro-kystiques ne peut pas bénéficier des traitements modulateurs comme Trikafta. De plus, les cibles pourraient être utiles à ceux qui ne répondent pas très bien à Trikafta, afin d’améliorer les résultats obtenus.
La communauté de la FK a fourni à Fibrose kystique Canada une liste de priorités de la recherche. Vous avez laissé entendre que vos travaux pourraient guérir la FK par des thérapies géniques ou à base de cellules souches. Comment comptez-vous y parvenir?
Dans le cadre de l’étude canadienne sur les modificateurs du gène de la FK, nous avons déjà découvert un gène impliqué dans les comorbidités associées à la FK touchant divers organes et à la réponse aux traitements modulateurs. Nous avons ensuite lancé un programme de développement dans lequel nous avons testé de petites molécules qui le ciblaient. Maintenant, nous travaillons pour faire avancer ce programme, dans l'espoir de trouver un jour un nouveau traitement pharmacologique pour aider les personnes atteintes de FK.
Et tout en continuant de travailler sur les modificateurs du gène de la FK, nous espérons parvenir à identifier d'autres gènes et potentiellement de nouvelles cibles modulatrices, de façon à réduire le risque d’infections chroniques.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de travailler dans le domaine de la fibrose kystique et, plus précisément, de réaliser ce projet?
Quand j’étais jeune, à Halifax, j'avais un ami très proche qui s'appelait Robbie Thompson. Il est décédé de la FK alors qu’il était dans la vingtaine. Ma relation avec Rob m’a permis d’être familier avec cette maladie et m'a donné envie de miser sur les compétences acquises pendant mes études supérieures pour mieux comprendre cette maladie et améliorer la vie des gens qui en sont atteints.
Quand s'est présentée l’occasion de travailler en recherche sur la FK, plus particulièrement sur les aspects génétiques et statistiques de la maladie et aux côtés de Mary Cory, je l'ai saisie. Ma formation m'a permis d'acquérir des notions complexes de génétique et de génétique statistique, notamment dans le cadre d’études d'associations pangénomiques.
Je me suis ensuite jointe à l’équipe du SickKids CF, où j'ai eu la chance de participer à l’étude sur les modificateurs génétiques. Au fil du temps, de nouvelles technologies sont apparues, et j'ai conçu des outils pour générer des données à plus haute résolution, qui nous ont permis de comprendre plus en profondeur la génétique de la FK et de faire des découvertes inattendues. Ce parcours a mis en lumière la nature complexe de la FK d’un point de vue génétique, ce qui pourrait engendrer une meilleure compréhension de cette maladie.
Félicitations pour ce prix du chercheur émérite!
Il revêt une grande importance à mes yeux. Un tel prix signifie que tous les efforts déployés au cours de ces nombreuses années ont été reconnus comme étant importants et ayant le pouvoir d'aider les personnes atteintes de FK. C'est un grand honneur! Cela me motive encore davantage à poursuivre mes travaux, et ça nous aide également à trouver de nouvelles occasions pour renforcer notre programme de recherche.
Je tiens aussi à dire que j'ai eu l’occasion en or de travailler au fil des ans avec des collègues, du personnel de recherche et un groupe d’étudiants de cycle supérieur formidables qui ont contribué au programme en fournissant de nombreuses idées et en contribuant ainsi à l'avancement des travaux. Sachez donc que c’est moi qui ai reçu le prix, mais qu’il s’agit du fruit d’un travail d’équipe avec des étudiants brillants de l’Université de Toronto et du personnel du SickKids.
Quels changements entrevoyez-vous pour les personnes fibro-kystiques au cours des prochains 5 à 10 ans?
Il faut considérer deux aspects pour répondre à cette question. Premièrement, l’accès aux modulateurs fera changer l’évolution de la maladie chez certains. Le tableau de la fonction pulmonaire sera modifié, ce qui pourrait entraîner des répercussions sur divers aspects comme la densité osseuse et les comorbidités, comme le diabète associé à la FK. Les facteurs psychosociaux et la planification de la vie seront aussi modifiés, et il faudra s'adapter à de nouvelles réalités au sein de la communauté.
Par ailleurs, il y a un petit groupe de personnes qui n’ont pas accès à ces traitements en raison de leur profil rare de la maladie. Elles sont témoins des bienfaits thérapeutiques dont d’autres membres de la communauté profitent, alors qu’elles demeurent sans traitement. Cela souligne le besoin de poursuivre les travaux de recherche afin d'explorer de nouvelles approches au-delà des modulateurs de la CFTR, comme les thérapies géniques ou les nouvelles cibles sur lesquelles portent nos travaux. Le profil de la maladie est en évolution; il nous faut porter une attention aux personnes qui bénéficient des traitements novateurs et à celles qui attendent de nouvelles options.
Que désirez-vous que la communauté de FK retire de vos travaux de recherche?
Je veux que la communauté sache que notre engagement demeure inébranlable, et que nous poursuivons nos efforts. Le travail que nous avons déjà accompli, comme le repérage de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles, est encore très important pour améliorer la vie des personnes atteintes de FK. Nous apprécions la générosité des membres de la communauté de la FK qui participent à ces études de recherche. Nous sollicitions constamment des renseignements, des échantillons sanguins et des sécrétions nasales, et les participants s’intéressent toujours à ce que nous faisons comme chercheurs. Je veux donc simplement remercier chaleureusement les patients FK et leurs proches : sans eux nous ne pourrions pas accomplir tout ça!